L’information dans la mobilisation de l’intelligence organisationnelle

Texte présenté lors du séminaire de recharche doctoral du Prefics, Université Rennes 2, le 18 juin 2010.

Ma thèse s’intitule« Plateforme collaborative et logique processuelle dans l’évolution des formes organisationnelles. Pour une conception étendue de l’information organisationnelle ». Je termine ma deuxième année de travaux que je qualifierai de descriptifs et conceptuels. J’essaye en effet d’expliquer en quoi les plateformes collaboratives font évoluer les formes organisationnelles. Ces explications s’inscrivent dans des logiques processuelles, c’est-à-dire que les plateformes collaboratives et les formes organisationnelles prennent en cours des processus qui sont déjà en cours et peuvent en impulser de nouveau. Et à partir de ces explications et des logiques processuelles dégagées, j’essaye de définir des prédictions sur des états futurs et de dégager des applications techniques, c’est-à-dire comment on peut utiliser les plateformes collaboratives dans le cadre des formes organisationnelles. En cela, je suis proche de la tâche de la science telle que définit par Karl Popper : « La tâche de la science est en partie théorique – explication – et en partie pratique – prédiction et application technique1 ». Je tente donc d’investir une conceptualisation théorique dans une situation pratique puisque je suis chargé de communication notamment en charge du développement des plateformes collaboratives dans une entreprise de logement social. Je dispose donc d’un terrain pour travailler les conceptualisations que je tente de construire et de relier. Et j’ai tendance aussi à penser comme K. Popper qui disait que les hypothèses précèdent les observations. Ce sont nos hypothèses qui déterminent ce que nous observons. Et ce sont donc nos hypothèses qu’il s’agit de réfuter dans une logique scientifique c’est-à-dire critique.

Quelles sont mes hypothèses ?

Mon hypothèse fondamentale, c’est de considérer que nous sommes pris dans des processus techniques, organisationnels, sociaux, qui nous dépassent largement. Et je considère l’information de manière large comme ce qui met nous met en forme, et ce qui nous permet de nous situer dans des formes anthropologiques. Les processus d’information sont des processus de mises en forme très larges. Ce sont des processus d’individuation psychique et collective qui charrient dans le même mouvement, et sans qu’il soit vraiment possible de les maîtriser, des formes techniques, des formes organisationnelles, des formes sociales, des formes sémiotiques, un ensemble de formes qui, reliées entre elles dans un espace-temps, déterminent une forme anthropologique, une intelligence organisationnelle qui en retour, agit sur ces formes.

En fait, il s’agit de constater que l’intelligence des organisations mobilisent des informations qui forment à son tour l’intelligence organisationnelle. Les processus d’informations forment les organisations qui les informent. Il y a ici un serpent qui se mord la queue.

Pour saisir ce mécanisme, il faut évidemment avoir une vision large de ce que l’on peut entendre par information. L’information ce n’est pas seulement ce qui fait sens ou ce qui fait signal, il faut revenir à son sens étymologique et dire que l’information est ce qui met en forme et ce qui permet de se situer dans des formes anthropologiques. Dans cette perspective, les formes techniques (les objets), les formes organisationnelles, les formes sociales, participent ensemble de la construction de formes anthropologiques particulières et participent ensemble de la construction d’une certaine intelligence.

Je propose donc de considérer l’information organisationnelle comme un processus, un mouvement, un voyage, un flux de formes qui viennent structurer, in-former des situations. « Le processus est un voyage. On passe notre temps à être traversé par des flux. Et le processus c’est le cheminement d’un flux, comme un ruisseau qui creuse son propre lit. C’est-à-dire que le trajet ne préexiste pas au voyage.2 ». C’est-à-dire que les formes techniques (tel ou tel objet), les formes idéelles (telle ou telle idéologie ou utopie), les formes sémiotiques (tel ou tel texte), les formes sociales (telle ou telle société), les formes organisationnelles (telle ou telle organisation), informent les situations et nous informent individuellement et collectivement dans un mouvement d’individuation psychique et collective que nous ne maîtrisons pas.

Analyser une situation, c’est donc prendre en compte l’ensemble de ces types de formes et considérer qu’elles participent toutes à la structuration des situations et au-delà à la construction des subjectivités, des sociétés, des formes anthropologiques, des intelligences organisationnelles.

On saisit là tout l’enjeu du développement des technologies de l’intelligence, non pas simple outil technique et extérieur à nous, mais forme qui participe à la définition et à la construction de nous-mêmes.

L’un des aspects centraux est donc prendre en compte que les formes sont en constante évolution. Il faut donc essayer de saisir les processus en oeuvre qui charrient tous ces objets, ces idées, ces subjectivités, ces sociétés, qui charrient toutes ces formes en interaction qui nous construisent et nous agissent de manière très très concrète. Ce qui est intéressant, c’est de se concentrer sur les devenirs possibles afin de mieux réfuter nos hypothèses en adoptant une attitude de rationalisme critique. Bien sûr, on n’a pas accès à tous ces processus. Beaucoup, peut-être les plus importants, se déroulent de manière infra-rationnelle, et c’est sans doute pour cela que nous trouvons les situations si complexes et si imprévisibles. Il y a des processus qui nous échappent.

Mais il y a des régularités. Les formes organisationnelles ont accumulé des règles, des réponses à des situations, des comportements, des usages techniques, des routines, dont l’ensemble des interactions forment l’intelligence organisationnelle qui n’est pas seulement ce qui est explicite, mais ce qui structure cette forme organisationnelle de manière très profonde et très pragmatique, ce qu’en d’autres termes on pourrait appeler de la mémoire. Les formes organisationnelles ont de la mémoire, elles ont la mémoire des interactions qui se sont opérées, qui se sont enkystées dans les objets, et l’intelligence étant ce qui est capable de faire appel à la mémoire (de manière consciente ou non) et d’innover avec les nouvelles formes qui se présentent.

L’aspect prédictif et théorique réside alors dans la prise en compte de quelques processus que j’ai pu percevoir et dans la tentative, à partir de ces observations, d’en tirer des applications pratiques et techniques. En effet, à l’heure des technologies de l’intelligence, de la numérisation générale des traces et de la crise des modèles managériaux, nous sommes en attente, d’un point de vue professionnel, de concepts qui aident à organiser les connaissances et à les capitaliser dans une dimension processuelle où les situations sont en devenir et en changement perpétuel.

J’ai pour le moment structurer mon affaire autour d’un plan en quatre parties :

  1. Logique managériale de pilotage des processus professionnels Depuis l’émergence de la notion de processus dans les normes ISO pour piloter la qualité, de nombreuses organisations ont décrit leurs activités sur le mode de l’interaction, de l’enchaînement temporel et du but. Les plateformes collaboratives s’inscrivent dans ce mouvement. Il s’agit de voir comment elles peuvent s’articuler à ces processus. C’est l’application technique et pratique de la conceptualisation.
  2. Une logique processuelle qui nous ferait basculer d’une anthropologie de l’espace à une anthropologie du temps ou de l’espace-tempsSi l’on compare les pratiques tayloristes-fordistes avec celles qui ont cours aujourd’hui, on peut constater une évolution des formes organisationnelles basées sur des représentations spatiales à des formes organisationnelles temporelles. Il s’agit d’éclairer ce processus et de voir en quoi les plateformes collaboratives y jouent un rôle.
  3. La prise en compte des processus liés aux logiques de la modernité, du passage des sociétés traditionnelles aux sociétés modernes Je voudrais aussi prendre la mesure des processus liés à la modernité c’est-à-dire aux éléments qui nous font mettre le monde à distance. Il s’agit de regarder les facteurs structurants de la modernité pour penser les pratiques liées aux plateformes collaboratives : processus de rationalisation, d’individualisation, de désacralisation du monde, de massification des comportements et d’universalisation.
  4. La prise en compte de processus et de débats épistémologiques qui travaillent les sciences sociales, qui participent à la construction des connaissances et qui pourrait bien participer à la construction des formes organisationnellesTout comme il y a des processus qui travaillent le couple moderne et le post-moderne, il y en a d’autres qui travaillent le couple positivisme et constructivisme. Aussi, je voudrais ici étudier les points de convergence entre l’épistémologie des sciences et l’évolution des formes organisationnelles.

1. Quels rapports et quels agencements possibles entre plateformes collaboratives et processus professionnels ?

Une définition possible des plateformes collaboratives est que ce sont des dispositifs de coordination de l’action qui fonctionne en mode internet. C’est-à-dire qu’elles sont susceptibles, si elles sont considérées sous cet aspect hyperorganisationnel, de faire émerger des formes organisationnelles singulières selon les contextes d’action (« hyper » comme capacité à faire perpétuellement émerger du nouveau, à aller au-delà de ce qui existe comme forme stabilisée). Si une plateforme collaborative est un dispositif de coordination de l’action, il faut noter que l’action se déroule toujours dans le temps et « Menée dans le temps, l’action est toujours incertaine3 ». Le processus aussi se pose la question de l’action qui se déroule dans le temps. Il essaie de la représenter, de la signifier, de la saisir, de la normaliser, de la standardiser. Rien de plus effrayant qu’un processus sans contrôle. C’est ce que l’on peut aussi appeler une crise. Voici donc un point commun de taille entre les plateformes collaboratives et les logiques processuelles : la question de l’action qui se déroule dans le temps, en situation, y est une interrogation permanente. Je pose donc le lien entre les plateformes collaboratives et les processus sur la question du pilotage de l’action en fonction du temps, dans une logique des temporalités. Il s’agit alors de voir comment les formes techniques peuvent se connecter aux processus de l’entreprise dans une perspective pragmatique, c’est-à-dire où la notion de processus est aussi comprise sous l’angle d’une logique d’actions perpétuellement émergente, irréductible à la règle et aux modélisations a priori. Il s’agit de pointer les tentatives de normalisation technique et sociale, tout en soulignant le caractère incertain de l’action et voir, dans ce contexte, comment se développent les pratiques sur les plateformes collaboratives : comme cadrage de l’action (norme) et comme émergence (prise en compte du caractère incertain de l’action).

Je pointe notamment une différence fondamentale entre les progiciels de gestions intégrés (les ERP), et les plateformes collaboratives. C’est que les ERP ont la particularité de fermer les logiques d’action et donc de traduire les processus professionnels dans des procédures très rigides. Alors que les plateformes collaboratives vont introduire de la souplesse et de l’autonomie dans le pilotage de l’action.

Ces logiques d’action, fermés ou ouvertes, traduisent deux grandes modalités de travail que l’on pourrait nommer situations routines et situations événementielles, ce que je propose également d’appeler processus institutionnels et processus projets.

Les processus institutionnels renvoient à la notion d’institution en anthropologie culturelle c’est-à-dire à un ensemble de règles, de normes, de conventions, de systèmes techniques, de langue et de langage qui s’imposent aux membres d’une société et qui structurent très fortement son rapport au monde. L’institution, c’est ce que nous trouvons lorsque nous émergeons au monde, lorsque nous arrivons dans une organisation et ce que nous intégrons sans vraiment nous en rendre compte. Je suis né le 13 avril 1974, et j’ai pris le langage, les manières de parler, les logiques d’action en cours, les objets, les couleurs, les modes de relations… et j’ai fait société, sans l’avoir expressément choisi. J’ai intégré Sarthe Habitat le 6 janvier 2003, et j’ai pris également les modes de relations, les logiques d’action, les objets, les modes vestimentaires, les manières de parler, de penser, sans vraiment m’en rendre compte et par imitation et imprégnation, j’ai fait société avec mon environnement au sens large (les collègues mais aussi les objets qui m’entourent) je suis rentré en relation avec tout cela.

Les processus institutionnels sont donc des processus routines, c’est-à-dire des logiques d’action que nous avons tellement bien intégrés que nous les répétons sans en avoir vraiment conscience, ce sont des sortes de réflexes. Agir par routine, c’est agir sans penser à ce que l’on fait. C’est aujourd’hui le lot de nombreux objets de réaliser nos routines, nous laissant la possibilité de nous concentrer sur l’essentiel.

Ainsi, lorsque l’on intègre une plateforme collaborative en organisation, non seulement elle va être prise dans les processus institutionnels en cours, mais elle va aussi créer des routines, elle va s’institutionnaliser.

Avec la définition de l’institution que nous avons donnée, nous pourrions dire que le projet fait advenir ce que l’institution n’est pas capable de faire. A un moment donné, l’organisation souhaite se donner un nouvel objectif, un nouveau but. Elle a un projet, différent de ce qu’elle sait faire en mode routine, et qui vient donc se confronter à l’institution, aux manières de faire héritées. Le projet renvoie donc à la question du changement, de l’invention, de l’innovation. Il s’agit de mettre en œuvre un projet qui aurait pour but de faire évoluer l’organisation institutionnelle qui elle, a la pesanteur de la mémoire collective. Des formes projets sont alors mises en place au sein des organisations institutionnelles pour inventer de nouvelles normes, de nouvelles formes. La description de ces processus projets, connectés aux plateformes collaboratives, sont alors des aides à la réflexion pour organiser et mettre en œuvre l’action dans des contextes à distance et asynchrones. Prises également dans une logique temporelle, les processus projets sont éphémères là où les processus institutionnels s’inscrivent dans la durée.

Prises strictement sous leur aspect projet, nous constatons que les plateformes collaboratives naissent et meurent en fonction des projets et des actions. Les plateformes collaboratives émergent et s’évanouissent en fonction des problématiques. Certaines sont plus pérennes, d’autres peuvent ne durer qu’une semaine mais l’ensemble est en tout cas instable. Les agencements sont perpétuellement remis en cause et retravailler selon le contexte.

Il s’agit donc d’un travail de description et de proposition de pratiques autour des plateformes collaboratives en prenant en compte ces deux grands types de processus : les processus institutionnels (dans un effort de mise à distance des traditions) et les processus projets dans un effort d’anticipation de ce qui peut advenir et d’actualisation perpétuelle du plan par rapport au réel.

Je développe notamment une hypothèse de connexion très forte entre les processus tels qu’ils ont été décrits et l’agencement des espaces numériques sur plateformes collaboratives. Nous avons d’une part un référentiel d’action commun, et de l’autre des espaces qui correspondent, plus ou moins, à ce que les acteurs ont mis à distance.

Le problème central réside, je pense, dans le fait que l’action est une pratique qui se situe en-deçà de l’explication rationnelle. La pratique, a bien des égards, semble se situer du côté des connaissances tacites.

  1. Passage d’une anthropologie de l’espace à une anthropologie du temps Cette prédominance de la notion de processus comme élément central de pilotage de la qualité est l’un des points qui nous laisse suggérer que nous sommes soumis à un mouvement qui pourrait nous faire basculer d’une anthropologie de l’espace à une anthropologie du temps, d’une culture du stock à une culture du flux, d’une société de la surveillance à une société de contrôle. L’importance des temporalités semblent ainsi prendre de plus en plus de place chez de nombreux chercheurs (Carayol, Stiegler, Le Moënne, Lazarrato, Jullien). Il s’agit alors d’étudier l’évolution des formes organisationnelles sous cet angle-là et de voir comment les plateformes collaboratives actualisent ou réfutent cette logique. Il s’agit notamment de travailler la notion de frontière organisationnelle, de voir comment les descriptions des processus professionnels, de plus en plus connectés aux technologies de l’intelligence, accompagnent leur mouvement de dislocation, de recomposition autour de nouvelles modalités.

Je tente de prendre la mesure des évolutions organisationnelles depuis les logiques tayloriennes jusqu’aux logiques que l’on pourrait appeler post-tayloriennes. L’entreprise tayloriste-fordiste est en effet une firme qui s’inscrit dans une culture de l’espace, de rapport au mouvement ouvrier, de la tâche parcellisée et surveillée dans un espace clôt, celui de l’usine. La notion de frontière et de stabilisation du mouvement y est fondamental. Et puis on a assisté à un mouvement de dislocation de ces frontières (judiciarisation, émergence de la sphère publique dans la sphère professionnelle, prise en compte de l’autonomie comme élément central dans la qualité, de l’intériorisation de la norme et du contrôle au lieu de la surveillance). Petit à petit, nous sommes donc passés d’une logique de la surveillance à une logique du contrôle où ce qui joue est le couple objectifs/résultats. Un jeu à l’élastique où l’on est libre de ses modalités d’actions en fonction des objectifs mais où l’élastique nous rappelle à l’ordre avec l’impératif de résultats.

Le passage des organisations spatiales aux organisations temporelles peut être éclairé par le passage des sociétés disciplinaires aux sociétés de contrôle, comme l’a exposé Gilles Deleuze relisant Michel Foucault. « Foucault a situé les sociétés disciplinaires aux XVIIIème et XIXème siècle, elles atteignent à leur apogée au début du XXème siècle. Elles procèdent à l’organisation des grands milieux d’enfermement4 ». La vie a été rythmée par de grands ensembles d’enfermement : la famille, l’école, l’usine, l’hôpital, la prison, qui sont désormais entrés en crise, comme le modèle tayloriste-fordiste. Toutes ces institutions souffrent actuellement du passage brutal d’une anthropologie de l’espace à une anthropologie du temps, ou, en d’autres termes, d’une société disciplinaire à une société de contrôle.

Plus que la flexibilité, c’est la modulation qui semble le concept clef pour signifier ce qui se joue dans les sociétés de contrôle qui remplacent les sociétés disciplinaires. « Modulation du temps (modulation des horaires de travail, des moments d’engagement dans le travail salarié), modulation de l’espace (extensibilité et variété des lieux d’exercice du travail, développement des outils de travail mobiles), modulation de l’activité (variabilité de l’intensité de l’engagement dans le travail salarié, interpénétration entre activités personnelles et activités pour l’entreprise), modulation de la rémunération (sous forme de parts variables liés aux performances de l’individu, d’intéressements aux résultats de l’entreprise). 5»

« Nous entrons dans des sociétés de contrôle, qui fonctionnent non plus par enfermement, mais par contrôle continu et communication instantanée6 ». Loin d’être enfermé dans une entreprise, nous sommes dans le monde, relié à chaque instant par nos techniques de communication dans un processus tel que nous sommes en situation de rendre des comptes.

Les plateformes collaboratives participent à ce processus. Elles permettent une mise sous contrôle temporelle où l’impératif majeur est la synchronisation au bon moment. L’univers du travail, dans ces conditions, se temporalise. Il devient élastique. Et au lieu d’être enfermé et surveillé, nous nous auto-contrôlons dans la perspective de devoir rendre des comptes. « La société du surf, de la circulation à l’air libre, mais en même temps de la force de rappel des résultats, des comptes à rendre. Le pouvoir s’y exerce désormais à distance7 ».

C’est précisément ce mouvement temporel qui fait que le monde devient ouvert et non plus fermé. Il a toujours été ouvert, puisqu’il a toujours changé, mais l’idée du passage d’une anthropologie de l’espace à une anthropologie du temps suggère que c’est l’ouverture qui informe le monde, et non plus la fermeture. Il ne s’agirait plus de penser les formes organisationnelles dans leur clôture et leur fermeture (le dedans et le dehors, la surveillance, la dimension spatiale, leurs stabilités, leurs performances et les bonnes pratiques reproductibles) mais dans leur ouverture (les modulations, le contrôle, la dimension temporelle, leurs perpétuelles émergences, leurs limites au sens de la réfutation d’un modèle toujours dépassé).

En d’autres termes, tout milieu d’enfermement, toute tentative de clôture est vouée à la dislocation et à l’ouverture. Chaque institution qui serait posée et qui instaurerait une clôture très ferme entre l’intérieur et l’extérieur serait voué à s’ouvrir, à terme. Chaque forme organisationnelle qui serait pensée uniquement en termes de système fermé où les concepteurs auraient verrouillés les manières de faire parce qu’ils auront pensés, dans un délire total, LA bonne forme organisationnelle, est appelée à s’ouvrir. Et s’il est vrai que nous basculons dans une anthropologie du temps, cela signifie qu’il est de plus en plus difficile de fermer les formes organisationnelles. Au lieu de cela, sans doute faut-il plutôt les penser dans leur ouverture, dans une dynamique temporelle de l’émergence. « Bergson ne cessera pas de dire : le Temps, c’est l’Ouvert, c’est ce qui change et ne cesse de changer de nature à chaque instant8 ». Il s’agit de ne plus penser le temps dans sa dimension spatiale, comme une ligne droite ou comme la trotteuse de l’horloge qui tourne, mais dans une dimension qui lui serait propre. Le temps dure, il n’est pas de l’espace. Il ne faut donc plus penser le processus dans sa dimension spatiale, comme a pu le faire Taylor, mais dans sa dimension proprement temporelle. Découper le temps, ce serait finalement le perdre au sens justement où l’on fermerait sa dimension émergente. Découper le temps, c’est tenter de le fermer, de le maîtriser, alors que le temps est changement. Ce qui implique de bien prendre en compte l’importance de la mémoire. C’est elle qui permet la stabilité des formes dans le temps. C’est elle qui accompagne le temps dans son oeuvre. Temps et mémoire sont les deux moteurs de l’histoire sociale dans sa continuité et son émergence, dans sa continuité et son hétérogénéité.

Ce mouvement a également développé les cartes. Non pas des cartes de territoire au sens spatial mais des cartes de mouvements et de flux où ce qui est signifié, ce sont les interactions potentielles et désirées, ce sont les synchronisations entre actants (c’est-à-dire humain et non humain), c’est toute une grammaire des interactions entre les humains, l’organisation et les technologies.

Les plateformes collaboratives ont alors pour rôle d’accompagner et d’actualiser ces cartes temporelles. Elles permettent des interactions, elles permettent la coopération et la coordination afin d’assurer la continuité du flux du processus.

Comme nous l’avons noté, ce processus impacte également la délimitation des sphères (publiques, privées et professionnelles). La salarié est toujours susceptible de se connecter aux processus de l’entreprise, ce qui brouille la distinction entre sphère privée et professionnelle. Mais plus largement, on assiste à une recomposition des sphères. La publicisation croissante des activités sociales et professionnelles a poussé les organisations à mettre en oeuvre des politiques générales d’écritures et de traces afin de pouvoir justifier de leurs processus et pratiques professionnelles. L’usage des plateformes collaboratives doit aussi s’entendre dans ce contexte-là. Elles permettent de développer la traçabilité généralisée des pratiques.

  1. La question moderneUne troisième partie est consacrée à la question de la modernité. Si la modernité est ce long processus de rationalisation du monde, de mise à distance, en quoi les plateformes collaboratives participent-elles à ce processus ?

    Si l’on veut bien considérer le passage entre les sociétés traditionnelles et les sociétés modernes comme un processus de rationalisation et de mise à distance, nous pourrions alors avancer que les plateformes collaboratives et les descriptions processuelles participent de ce processus. Par les formes techniques et les formes de représentation de l’organisation, les acteurs mettent à distance leurs savoir-faire, leurs manières de faire, afin de tenter de les réorganiser, de les rationaliser de manière à être plus rentables et plus efficaces. L’histoire des formes organisationnelles est structurée par cette rationalisation, propre au monde moderne, qui tente de rendre l’organisation plus efficace.

    « L’usage des TIC dans les entreprises, (…), s’intègre dans le processus de rationalisation du travail et de l’organisation à l’oeuvre depuis les débuts de l’industrialisation. Mais autant les premières phases de l’information contribuaient, comme d’autres techniques auparavant, à rationaliser les tâches elles-mêmes, autant il s’agit maintenant d’une rationalisation des interactions, des échanges entre salariés, c’est-à-dire en particulier d’une rationalisation du management, des connaissances, de la coopération9 ».

    Comme le souligne également Carlo Vercellone, les NTIC « peuvent se révéler aussi comme un puissant instrument au service de la poursuite d’une voie néo-tayloriste de rationalisation de la production étendant, y compris à certaines sphères du travail intellectuel, une logique d’obtention des gains de productivité fondée sur la décomposition des tâches et la recherche d’économie de temps10 ». Les logiques processuelles aussi sont des logiques qui cherchent à gagner des gains de productivité par la rationalisation et la décomposition des tâches. Mais là où la rationalisation et l’automatisation des tâches étaient l’oeuvre du projet taylorien, celui des logiques processuelles est de rationaliser l’articulation entre tâches et comportements humains.

    Le processus de rationalisation poursuit son oeuvre. Mais là où l’individu était isolé dans les logiques tayloriennes, il y a, dans les logiques processuelles, une mise en visibilité de l’activité collective qui transcende ainsi l’activité individuelle. Avec les processus, nous ne sommes plus dans une parcellisation des tâches qui ne permet pas à l’acteur d’appréhender le sens de son action. Nous sommes plutôt dans une séquentialisation des activités qui sont toutes contextualisées dans le projet global de l’entreprise. Les processus sont un jeu de systèmes et de sous-systèmes interconnectés entre eux qui sont tous tendus vers le projet de l’entreprise. Une fois identifiés, ces processus sont ensuite mis en oeuvre via des systèmes d’information ou plus spécifiquement des plateformes collaboratives.

    En même temps, la sphère managériale a intégré les limites de la rationalisation et met en oeuvre des modalités d’organisation fondées sur l’autonomie et la prise d’initiatives. Si l’avenir n’est pas totalement rationnel et prévisible, si le plan est toujours dépassé par la réalité, c’est qu’il faut laisser de l’autonomie aux acteurs qui mènent l’action de manière à ce qu’ils adaptent les formes d’organisation adaptées au cours de l’action. D’où la distribution généralisée de dispositifs numériques de coordination et de coopération au plus près des situations de travail.

    Les limites de la rationalisation est également prise en compte lorsque l’on considère que nous ne sommes pas assez intelligents et qu’une situation comporte tellement de points de vues que l’on gagne à ouvrir la discussion aux différentes manières de penser la situation, lorsque l’on ouvre la possibilité critique.

    La modernité se caractérise en effet par la mise à distance des modalités traditionnelles de savoir et de pouvoir dans un processus où l’homme arriverait à son état de majorité comme dit Kant. La modernité, c’est donc la question critique comme possibilité de remettre en cause ce qui est dans un débat contradictoire. Ce qui pourrait être au fondement du capitalisme d’ailleurs, comme capacité à intégrer les critiques. La modernité, c’est la possibilité de poser la légitimité de nos institutions. Dans les sociétés traditionnelles, il n’y a pas de mise à distance. Elles sont fondées sur la répétition de la même chose. On fait comme on a fait et comme on a toujours fait. Il n’y a pas à se poser de questions. Les sociétés modernes marquent une mise à distance qui est désormais opérée sur ses propres pratiques, ses institutions, ses manières de faire, et ouvre la possibilité critique. On se pose perpétuellement la question du pourquoi et du comment. Rien n’est stable. Tout est susceptible d’être remise en question. Ce que fait d’ailleurs le processus scientifique de manière consciencieuse. Les plateformes collaboratives participent de ce mouvement moderne en permettant des modalités de coopération et de dialogue, de remise en cause et de critique.

    Les plateformes collaboratives permettent cette mise en commun des points de vue, même si nous constatons qu’elles se cantonnent souvent à des dépôts de documents dans une logique de gestion électronique des documents.

    La question moderne se confond finalement avec la question épistémologique si l’on considère que l’épistémologie consiste à mettre à distance ses capacités à connaître.

      1. Points de convergence entre épistémologie des sciences et les formes organisationnellesAutre logique processuelle que je tente d’explorer, celle de l’évolution de l’épistémologie des sciences et des formes organisationnelles car j’y vois des points de convergence assez nets. C’est-à-dire qu’il y a un rapport entre la manière dont nous construisons la science et ses critères de vérification, et la manière dont on construit les formes organisationnelles. En fait, il s’agit de considérer que les contextes épistémologiques sont des contextes comme les autres qu’il faut prendre en compte au même titre que les contextes spatio-temporels. Je forme donc l’hypothèse que dans une épistémologie positiviste, nous ne développons pas les mêmes pratiques que dans une épistémologie constructiviste. Et dans une épistémologie positiviste, il faudra faire la différence entre le positivisme cartésien et le rationalisme critique de Karl Popper. Quant aux épistémologies constructivistes, il faudra faire la différence entre un constructivisme radical et un constructivisme restreint. Identifier les contextes épistémologiques peut nous permettre d’identifier la manière dont les hommes et les femmes mettent le monde à distance et par là-même développe des pratiques associées. Par conséquent, selon ces deux grandes épistémologies, il serait possible de développer des pratiques différentes. Conceptualisation des modèles de la norme dans le contextes des épistémologies positivistes cartésiennes, conceptualisation de modèles d’aides à la réflexion dans des contextes popperiens et constructivistes.

    La démarche popperienne admet en effet l’existence de la réalité et de la vérité, indépendamment d’une justification sociale quelconque. Il y a une réalité empirique qu’il est très difficile de saisir (le savoir est une construction sociale qui peut être un facteur déformant de la réalité car elle ne repose que sur le savoir disponible à un moment donné). Mais il est possible d’approcher cette vérité, cette vérisimilitude par le rationalisme critique, c’est-à-dire en essayant de réfuter les connaissances et les observations qui sont produites puisque les hypothèses sont des grilles de construction du monde.

    Quelles sont les pratiques qui émergent des hypothèses positivistes, popperiennes et constructivistes ?

    Je note d’abord des points de convergence entre la taylorisme et le positivisme. Ces deux modèles sont en effet dualistes. Dans le premier cas, il y a séparation de la réflexion et de l’exécution, et dans le second il y a séparation du sujet et de l’objet. Dans les deux cas, il y a l’hypothèse que l’on peut penser le monde de manière rationnelle et que par accumulation des bons mouvements ou des bonnes connaissances, on arrivera à la bonne pratique, au one best way ou à la théorie vraie.

    Là où le post-taylorisme et le constructivisme critiquent le dualisme en notant qu’il n’est pas possible de séparer l’objet du sujet, la réalité de la connaissance que nous en avons, l’exécution du travail de sa réflexion. Nous avons Berkeley et Vico comme auteur célèbre autour de cette problématique mais plus près de nous Zarifian qui parle de retour du travail dans le travailleur, de Stiegler qui parle de l’économie de la contribution, d’un passage de la servitude volontaire automatisée à une économie de la contribution, de Schenk qui parle de crowdsourcing.

    Ainsi, l’usage des plateformes collaboratives associées aux descriptions processuelles peuvent très bien se développer dans des contextes positivistes ou constructivistes. Dans un contexte positiviste, on considérera que les descriptions sont rationnelles et reflètent la réalité et que l’ensemble de l’organisation est rationalisable. On instituera des services dont la mission sera d’organiser les relations entre les hommes et les machines. Les agencements collectifs seront pensés en dehors des contextes réels de travail. Les processus permettent alors de penser l’organisation de manière rationnelle dans une perspective de contrôle normatif. Alors que dans une épistémologie constructiviste restreinte, on considérera les processus comme des aides à la réflexion. On insistera qu’ils ne réduisent pas le monde qui est beaucoup plus complexe que sa représentation. Les formes de l’action sont alors décidées en contexte, dans un aller-retour permanent entre les acteurs qui mènent l’action et les instances qui décident des formes de l’action. Il y a un rationalisme critique qui s’ouvre où chacun est en possibilité de critiquer ce qui est institué.

    Si on n’y prenait garde, on pourrait dire qu’il y a une bonne manière de penser, ce serait la manière constructiviste. Mais une démarche positiviste peut être tout à fait pertinente. Le modèle taylorien, si l’on m’accorde qu’il s’est développé dans une épistémologie positiviste, était tout à fait pertinent pour répondre au contexte de l’époque : production de masse sur un marché où la demande est supérieure à l’offre. D’où l’intérêt de produire en très grande quantité des produits relativement indifférenciés.

    Mais ce qu’il s’agit peut être de pointer, c’est que le contexte actuel est devenu très complexe, et que l’une des difficultés, c’est qu’il n’y a plus une réponse adaptée et reproductible. L’enjeu majeur, en contexte industriel et de service est de mettre en place des formes organisationnelles qui permettent aux acteurs de mettre à distance les réponses qu’ils ont eu l’habitude de donner aux différentes situations qu’ils rencontraient. Il ne s’agit plus de stabiliser l’ouvrier mais de l’autonomiser et le responsabiliser. Et le problème, c’est peut-être que nous héritons de deux siècles de pratiques positivistes et que nous devons nous en détacher. Ce phénomène peut notamment être éclairé avec la question des formes de l’expérience telle qu’elles sont présentées par Zarifian. Il distingue trois formes de l’expérience : l’expérience acquise par la routine, l’expérience acquise par les règles du métier et l’expérience acquise par abduction.

    Dans cette dernière forme de l’expérience, l’intelligence organisationnelle pourrait être une certaine capacité à se concentrer sur les évènements, c’est-à-dire sur ce qui n’était pas préalablement prévu. Les informations organisationnelles sont alors l’ensemble des informations, des connaissances et des savoirs qui permettent à une forme organisationnelle de se maintenir et d’évoluer dans un contexte donné caractérisé par des situations évènementielles. De nombreux chercheurs élaborent en effet l’hypothèse selon laquelle nous serions passés dans des logiques processuelles et évènementielles. Le modèle de la routine, comme répétition de la même chose, et le modèle du métier, comme l’application d’un ensemble de règles professionnelles qui auraient été capitalisées en amont dans un référentiel métier par exemple, sont remis en question en pointant le fait que nous sommes entrés dans un monde éminemment instable où ce qui domine nos situations professionnelles, c’est l’aléa, la nouveauté, la rupture, la non-qualité, le défaut. Là où nos machines pourraient se concentrer sur les processus routines, notre rôle serait alors de nous concentrer sur les évènements qui interviennent dans un flux processuel.

    L’expérience par la routine est celle que l’on acquiert par imitation et imprégnation. Ce sont des règles et des normes qui fonctionnent et que nous reproduisons sans vraiment les mettre à distance. Elles sont totalement intégrés et sont donc très difficiles à changer. On fait comme on a fait et comme on a toujours fait. Cette forme de l’expérience fonctionne dans un monde stable et rationnel, positiviste, et la routine fonctionnera. C’est de la mémoire cristallisée dans les objets et dans nos pratiques.

    L’expérience par les règles du métier est du même ordre mais y ajoute une dimension communautaire fermée. Les règles sont régies et évaluées par les gens de métier. C’est un modèle qui n’est pas ouvert à la coopération et à la communication.

    Ce sont des logiques qui évacuent la dimension événementielle des situations.

    Mais si la routine est ce qui permet de stabiliser des manières de faire, elle est aussi ce qui limite les capacités d’innovation. La routine est en effet active et utile dans une conception du monde anti-évènementielle où il ne peut pas surgir d’imprévu. Le monde est posé et prévu de telle manière que ce qui s’est produit une fois se reproduira toujours. Il n’y a pas à gérer d’évènement inattendus. Aussi, lorsque l’évènement se produit, les acteurs et les objets agis par la routine ont beaucoup de mal à s’en extraire. Puisqu’elle n’est plus réfléchie, puisqu’elle est enkystée dans les objets et dans l’ensemble des institutions qui nous informent, elle est très difficilement malléable. Dans ce contexte, la plateforme collaborative sera pré-programmée au regard des routines qui auront été identifiées. L’acteur n’aura aucune latitude pour inventer de nouveaux agencements adaptés aux évènements qu’il rencontre puisque l’on considère ici que le monde est prévisible. Dans un monde posé et donné, il est possible d’apprendre par la répétition de la même chose. Si ce phénomène est utile et indispensable, il est beaucoup plus problématique dans les contextes complexes. C’est un modèle peu ouvert à l’innovation, à la critique, aux démarche de projet, aux situations complexes… qui dominent les situations professionnelles qui ne peuvent se construire sans s’ouvrir aux autres métiers et pour cela développer des formes d’organisation transversale.

    C’est pourquoi les nouvelles formes organisationnelles renouvellent cette forme de l’expérience par le virtuel et l’abduction (Zarifian, 2004), ce que nous pourrions aussi appeler les organisations projet. Ici, il s’agit d’imaginer les évènements qui pourraient venir interrompre le flux du processus de manière à essayer de les anticiper. Il s’agit de créer des modèles qui soient des aides à la réflexion et qui permettent de mesurer les écarts entre ce qui a été prévu et ce qui est réellement réalisé, dans une logique d’actualisation perpétuelle du virtuel. Ainsi, les plateformes collaboratives sont-elles le bras armé du processus qui s’actualise dans la plateforme. Les séquences d’action sont prévues en amont mais restent ouvertes de manière à être actualisées dans une plateforme collaborative qui permet tout à la fois de constater les écarts entre le processus et ce qui est survenu. Il y a donc apprentissage des mutations et de l’instabilité inhérente au monde. Les évènements ne sont alors plus considérés comme du négatif mais comme du positif, comme une occasion d’apprendre et d’agir. Puisque désormais le monde est devenu complexe, puisque les évènements émergent de toute façon, autant les considérer positivement et les appréhender de manière à ce qu’ils nous apportent quelque chose.

    Et on a donc là un ensemble entre forme, norme et événement.

    Il faut aussi pointer le fait que les logiques de la routine, qui sont donc des logiques de la mémoire, ne sont pas des logiques rationnelles. Il n’y a pas de mise à distance réfléchie dans ces dynamiques-là. Ce sont des logiques de mémoires institutionnelles qui sont inscrites dans les objets, dans les actants, dans l’organisation considérée comme un processus perpétuellement émergent mais fortement normalisées par ces processus de mémoire qui sont toujours en construction et en évolution. D’où le fait qu’une situation de communication est toujours en tension entre une mémoire qui nous arrive, portée par l’environnement, et une pratique sociale ou organisationnelle qui actualise cette mémoire en la renégociant. Une situation de communication est donc toujours un peu différente, et toujours un peu semblable, sans quoi nous ne pourrions même pas communiquer. C’est dans cette tension et dans cette négociation que vient se nicher l’évènement comme forme émergente qui actualise la norme.

    Si la normalisation, la socialisation, la convention, nous permet de vivre ensemble, si notre univers est social avant d’être individuel, porté par les institutions, les formes sociales et les informations organisationnelles, c’est aussi la renégociation de ces normes qui marquent notre humanité, que ces renégociations se fassent de manière rationnelle dans une démarche typique de la modernité (est-ce qu’en droit nos lois ou nos pratiques sont valides ?), ou non rationnelle (pas d’institutionnalisation sans destitution) (Castoriadis, 1975).

      Bibliographie

      Boghossian, P., La peur du savoir, Banc d’essais, Agone, 193 p.

      Castoriadis, C., L’institution imaginaire de la société

      Carayol, V., 2005, « Principe de contrôle, communication et temporalités organisationnelles », Etudes de communication, (En ligne), 28, mise en ligne le 19 janvier 2009. URL : http://edc.revues.org/index276.html

      Craipeau, S., L’entreprise commutante : Travailler ensemble séparément, Paris, Hermès science publ., 2001, 191 p.

      Deleuze, G., 1990, Pourparlers, Les éditions de Minuit, Reprise, 247 p.

      De Munck, J., L’institution sociale de l’esprit, Paris, PUF, 1999

      Le Moënne, C., 2004, « Systèmes d’information organisationnels – introduction », Sciences de la société, n° 63, 11-25.

      Le Moënne, C., 2007, Quelques remarques sur la portée et les limites des « modèles de communication organisationnelle », Bordeaux, Communication et organisation.

      Livian, Y.-F., Organisation. Théories et pratiques, Paris, Dunod, 2005, 320 p.

      Popper K., La connaissance objective, Flammarion, Champs essais

      Vercellone, Carlo, Sens et enjeux de la transition vers le capitalisme cognitif : une mise en perspective historique, http://multitudes.samizdat.net/Sens-et-enjeux-de-la-transition

      Séminaire interdisciplinaire de philosophie, sciences et technologies cognitives, Mineur Phiteco (Philosophie, Technologie, Cognition), Actes du colloque Cognition, Communauté(s) et technique : l’émergence et l’institution de normes.

      1POPPER, K., La connaissance objective, p. 510

      2Deleuze, Anti-Oedipe et autres réflexions

      3DE MUNCK, Jean, L’institution sociale de l’esprit, p. 124

      4DELEUZE, Gilles, Pourparlers, p. 240

      5ZARIFIAN, Philippe, Travail, modulation et puissance d’action, http://latts.cnrs.fr/site/p_lattsperso.php?Id=692, page consultée le 10 décembre.

      6DELEUZE, Gilles, Le devenir révolutionnaire et les créations politiques, http://multitudes.samizdat.net/Le-devenir-revolutionnaire-et-les, page consultée le 9 décembre 2009

      7ZARIFIAN, Philippe, La société sécuritaire de contrôle, http://multitudes.samizdat.net/La-societe-securitaire-de-controle, page consultée le 9 décembre 2009.

      8Ibid.

      9Ibid. p. 166

      10VERCELLONE, Carlo, Sens et enjeux de la transition vers le capitalisme cognitif : une mise en perspective historique

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